Premier bilan politico-écnomique du défaut argentin

Premier bilan politico-écnomique du défaut argentin 13 AOÛT 2014 |  PAR MICHEL DELARCHE Le bilan politico-économique doit être apprécié à trois niveaux interdépendants mais néanmoins distincts, à savoir: la relation entre les causateurs américains du défaut et la nation argentine, la relation entre le gouvernement argentin et son opinion publique, la relation institutionnelle entre le gouvernement kirchnériste et son opposition. La relation entre l'Argentine et ses adversaires juridico-financiers américains était déjà exécrable et n'a aucune chance de s'améliorer à court terme. L'Argentine a fait le choix de porter le conflit au niveau politique auprès de la cour internationale de justice. Dans son discours de jeudi soir dernier diffusé en « cadena nacional »c'est-à-dire sur toutes les chaînes de radio et de télévision), la présidente CFK a traité Griesa de « juge municipal » et a mis en cause frontalement lapartialité du médiateur Pollack (ensuite confirmé vendredi dans son rôle par Griesa) et elle a cité un article du Guardian (que je n'ai pas lu car mon accès à Internet est ici limité) faisant allusion à une possibilité d'intervention du Président des USA au cas où il estimerait qu'un jugement empiéterait sur ses prérogatives, avec le précédent d'une décision de G.W. Bush concernant un jugement obtenu par le même vautour P. Singer dans une affaire d'embargo financier à l'encontre de la République du Congo. Une sortie de l'Argentine de la zone dollar est impensable à court-moyen terme, mais la décision de Poutine de renforcer les importations agro-alimentaires en provenance d'Amérique du sud peut accroître la marge de manoeuvre économique de l'Argentine par rapport aux pressions de l'Oncle Sam. Les dernières enquêtes d'opinion montrent qu'une large majorité (plus de 60%) des Argentins soutient la position du gouvernement. Un signe qui ne trompe pas est que tout le monde utilise la formule « fondo buitre » (fond vautour) y compris les opposants les plus bovinement systématiques (les éditorialistes du groupe Clarin qui sévissent quotidiennement dans le quotidien du même nom, sur Canal 13 et sur Radio Mitre).De ce point de vue, le gouvernement a gagné la bataille sémantique quant à la perception globale de ses adversaires américains. La mobilisation politique s'effectue dans la tonalité très nationaliste dont les péronistes raffolent (et incluant le rappel du vieux slogan « O Braden O Peron » auquel s'est ajouté « Patria obuitre » slogan officiel du meeting d'hier soir au Luna Park) mais ne donne pas lieu à une réelle mobilisation de masse au-delà du cercle des militants convaincus. On continue de parler du montage d'un consortium d'industriels et de banquiers argentins et américains pour un rachat par le privé de la dette envers les vautours, mais rien de concret n'a encore émergé des tractations en cours. En fait, les Argentins ont bien d'autres soucis que les discours plus ou moins techniques sur le défaut: l'inflation galope à un taux de plus de 30% par an, le gouvernement vient d'annoncer une augmentation des prix du gaz (largement subventionné) allant de 200% à 400% selon les volumes consommés, l'eau et l'electricité ont également fortement augmenté ce mois-ci, et le salaire réel stagne voire commence à baisser dans les secteurs en baisse d'activité car les syndicats commencent à accepter des blocages salariaux, malgré l'inflation, en échange du maintien de l'emploi. De ce fait la popularité de CFK n'a effectué ces dernières semaines qu'un léger rebond à environ 30% d'opinions favorables après un creux à 25%. C'est certes mieux que Monsieur Normal mais loin du pic émotionnel de 2011. L'opposition dénonce la rhétorique gouvernementale sur le défaut comme servant à masquer l'échec de la politique macro-économique kirchnériste et Massa (péroniste oppositionnel néo-libéral) a le vent en poupe (son concurrent interne aux dernières élections provinciales Insaurralde ainsi que divers caudillos de province comme De La Sota ou Rodriguez Saasont en train de se rallier à lui). Autre avantage important: Massa est la tête de gondole du puissant groupe médiatique Clarin (tout comme Sarkozy était le candidat de télé-Bouygues en 2007). L'impact réel de la déclaration de défaut est difficile à apprécier: les problèmes économiques de l'Argentine pré-existaient au jugement de Griesa et la plupart sont récurrents et n'auront de solution qu'à long terme. On peut citer encore et toujours: la faiblesse et le coût élevé des infrastructures de transport, le déficit énergétique (14 milliards de dollars d'importation de gaz et de pétrole par an, soit la moitié des réserves actuelles de la Banque Centrale Argentine), l'absence de régulation des monopoles et oligopoles publiques et privés, une politique de prix administrés et de subventions mal ciblées à la consommation qui encourage le gaspillage et entrave la modernisation des infrastructures de base, sans oublier une gestion bureaucratique des importations qui a oublié de distinguer entre biens de consommation et moyens de production d'où des situations aberrantes: le fonctionnement de certaines administrations et de nombreuses activités professionnelles privées se trouve ralenti voire paralysé par l'indisponibilité de... cartouches d'imprimante, alors que les importations de luxueux 4x4 et de grosses berlines allemandes n'ont pas cessé. L'inefficience bureaucratique bat chaque jour de nouveaux records (vendredi dernier, quatre heure trente de file d'attente au Banco Nacion pour pouvoir transférer quelques milliers de pesos de Buenos Aires à Santa Cruz...) et l'atmosphère d'une fin de règne plombée par la corruption et l'affairisme (affaire Baez, affaire Boudou etc.) me rappelle la dernière phase du mitterrandisme finissant. Cela dit, et contrairement au discours dominant des économistes « libéraux » je pense que l'impossibilité pour l'Argentine de recommencer à emprunter tous azimuts sur le marché mondial des capitaux est plutôt un bienfait qu'une malédiction... à condition de savoir faire de nécessité vertu. CFK et Kicillof font présentement le pari de maintenir l'activité économique par la consommation populaire, mais les niveaux atteints par l'inflation et le déficit budgétaire courant risquent de rendre cette politique insoutenable plus de quelques mois. En l'état actuel des choses, la seule personnalité d'envergure capable de porter aux prochaines présidentielles un projet politique et économique qui ne soit pas un décalque de l'austérité néo-libérale serait Kicillof (mais étant un agnostique d'origine juive, il serait constitutionnellement inéligible sauf à hypocritement se convertir au catholicisme comme le fit en son temps Carlos Menem d'origine syro-libanaise musulmane.) Comme de toute façon Kicilloff n'aurait aucune chance d'être élu, cela n'a pas grande importance... La semaine dernière lors d'un déjeuner au restaurant j'ai entendu fortuitement derrière moi quatre professionnels de la politique commenter les derniers sondages disponibles: Massa 25% (les journaux le donnent plutôt à 30-35% mais cela fait partie de la manipulation médiatique) ; Scioli (centre péroniste « légitimiste K»):: 15% : Macri (Droite Libérale) 15% ; UNEN (centre-gauche) 15%. Bref, ici comme en France la Gauche est mal en point, en partie pour les mêmes raisons: corruption clientélaire et paresse des élus, pusillanimité bureaucratique, fragmentation politicienne, manque de vision stratégique, démagogie populiste et soumission au système.

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